Auguste Rodin, La vie à Pleines mains Poésie biographiques de Denis Morin, lues par Jacqueline et Jean-Claude Barral

Par Caroline DESSAINT.

 

René François Auguste Rodin (12 novembre 1840- 17 novembre 1917) est l’un des sculpteurs français les plus importants de la seconde moitié du XIXème siècle. Il est considéré comme l’un des pères de la sculpture moderne. Héritier des siècles humanistes, l’art réaliste de Rodin est un aboutissement. C’est un croisement entre romantisme et impressionnisme, qui donne naissance à une sculpture modelée par la lutte entre la forme et la lumière. La virilité de l’artiste, surnommé en son temps le « Bouc sacré », provoqua des drames semi-publics ou privés. Son travail est au centre d’une expression plastique de la sensualité, de l’érotisme, mais aussi de la douleur.

Rodin Denis Morin
La vie à pleines mains, DMorin, VOolume

Le poète contemporain Denis Morin retrace dans ses Poésies biographiques le caractère insaisissable de Rodin, à travers son travail mais, surtout, à travers sa vie privée. Au cours de son existence, Auguste Rodin fut marqué par sa femme Rose, douce et innocente, ainsi que par Camille Claudel, une artiste émérite, sulfureuse et extravagante qu’il aimera toute sa vie sans savoir comment le lui dire réellement. Denis Morin nous montre un Rodin au sommet de sa gloire, mais dont la vie sentimentale est un échec, face à une Camille tourmentée qui doit se faire une place dans un milieu artistique essentiellement masculin.Rodin et Claudel Proprose

Pourquoi Rodin, vous demanderez vous ? En 2015, Denis Morin a fait paraître un recueil de poésies biographiques intitulé Camille Claudel, la valse des gestes chez Edilivre. L’an dernier, VOolume a publié l’ouvrage en audio ; Denis Morin se questionnait sur la pertinence d’entendre le point de vue de Rodin lui-même. C’est de cette idée que naît le recueil Auguste Rodin, la vie à pleines mains.

Une fidélité historique

Il est aisé de constater dans le recueil une réelle historicité. En effet, Denis Morin prend le soin de placer une chronologie à la fin de l’ouvrage, pour éclairer le lecteur. Sans cela, il serait un peu perdu. De nombreux poèmes comportent des accroches historiques que seuls des amateurs passionnés de Rodin peuvent entrevoir.

Dans le premier poème, intitulé « Le tout entremêlé », Rodin, à travers les mots de Denis Morin, affirme qu’il s’est créé seul de manière autodidacte, qu’il voulait étudier aux Beaux-Arts mais que cela ne s’est pas déroulé comme il le souhaitait. L’auteur fait ici référence à l’avant-Rodin, la période où il n’est pas encore l’artiste que l’on connaît aujourd’hui. On remarque les dons de Rodin pour le dessin, à l’école publique. Dire qu’il a été refusé trois fois aux Beaux-Arts n’est pas correct. Il a été admis malgré son milieu modeste, mais en classe de dessin. Il est refusé trois fois dans la classe de sculpture. Ce non-apprentissage va lui manquer toute sa vie. C’est après ce refus que se place l’auteur. Tout comme dans les peintures classiques, on ne montre pas le drame. Denis Morin ne représente pas le refus en lui-même mais la période qui le suit, la déception de Rodin, et en même temps sa suffisance liée au fait qu’il a réussi malgré tout.

Rodin porte des enfers age d airain

Les références à Camille Claudel sont elles aussi subtiles. Le poème « La Pensée », de par son nom, fait référence à une œuvre éponyme de Camille. « L’âge d’airain » est beaucoup plus explicite. Il fait ouvertement référence à l’année 1877, lorsque Rodin est admis et exposé au Salon avec un nu : L’âge d’airain. Cette sculpture stupéfie la critique et les spectateurs. On l’accuse d’avoir moulé le corps. Il montre ses esquisses et son modèle pour se dédouaner.

On observe donc une véritable trame historique derrière le travail de Denis Morin. Cependant, cette trame est peut-être trop subtile pour de simples curieux et amateurs d’art. Ces belles références aux vies d’Auguste et Camille s’engouffrent dans l’enchevêtrement des mots, jusqu’à disparaître.

Un art et des mots

La poésie est un art subtil, aux frontières de notre imagination. Elle peut nous transporter à travers divers mondes et nous enchanter. Le coup de cœur de la rédaction se porte aujourd’hui sur le poème « La Tamise ».

La Tamise

Sous votre emprise

Sous votre charme

Je tombe

Sous le regard des femmes

Je succombe

Devant mes yeux, la stature masculine

Du modèle

Me permet de revivre ma jeunesse

Ou de constater ma vieillesse

Sous votre drame

Je m’étendrai à l’ombre

Les grands boulevards me réclament

Je vais à Londres

Je franchirai la Tamise

Cependant, si quelques mots nous transportent, une légère impression de vide émotionnel se fait ressentir tout au long du recueil. Peut-être est-ce la timidité de l’auteur qui ressort. Il manque une légère touche de mordant au travail de Denis Morin, ce qui n’enlève rien à la subtilité de ses vers. Son  ouvrage nous apparaît tout en douceur. Chaque personnage a son caractère. Il est impossible de confondre la douce Rose et la pétillante Camille. Rodin apparaît un peu trop malheureux et narcissique, tandis que Camille est prodigieuse. Dans ce recueil, le génie, c’est Camille Claudel et non Auguste Rodin. Les quelques rimes produites par l’auteur font chaud au cœur et sonnent bien à l’oreille, comme dans « La Tamise » et « Rose la sage ».

Quelques vers viennent interrompre le rythme et la fluidité par leur caractère haché et saccadé, qui peuvent s’expliquer par le goût du poète pour la prose de Marguerite Duras. Le seul vrai bémol que l’on peut attribuer au recueil est celui d’avoir choisi un narrateur interne, en la personne d’Auguste Rodin. Lorsqu’un artiste nous dépasse, touche ce que l’on appelle le Sublime, il n’est pas nécessaire de lui attribuer des mots qu’il n’a pas lui-même prononcés.

Un art qui s’écoute

Douce et chaleureuse est la voix de Jean-Claude Barral, qui nous conte ici la vie d’Auguste Rodin. Il a ce ton accueillant d’un grand-père, et une professionnalité certaine. Si un doute planait sur les vers de Denis Morin, les entendre change notre perception de son œuvre. J-C Barral donne vie à l’artiste. Certes, il interprète un Rodin légèrement trop sympathique, face au contenu du texte qui est plus rude, mais cela n’enlève rien à l’authenticité de son interprétation.

En revanche nous déplorons le caractère trop théâtral de Jacqueline Barral, qui interprète Camille Claudel. Son ton trop sarcastique ne nous permet pas de d’entrevoir la subtilité du caractère de Camille Claudel. La musique, qui est très bien choisie, adoucit ce timbre brutal et nous transporte vers l’ailleurs. C’est une musique calme, presque classique, qui nous renvoie dans la France du XIXème siècle, au temps de Beethoven.

La poésie de Denis Morin est sans conteste faite pour être entendue. Celui qui s’acharne à la lire sans autre formule de compréhension aurait perdu la chance d’entrer dans la vie de l’un des plus grands sculpteurs français. Le coup de cœur audio de la rédaction est sans nul doute le premier poème, « Le tout entremêlé ». J-C Barral le transpose de façon magistrale et nous permet de comprendre le Rodin rejeté, qui doit tout donner pour réussir. Cela n’est pas possible à travers la seule lecture du poème.

La transposition en audio de son recueil est un coup de génie accompli par Denis Morin, et la rédaction de Prop(r)ose magazine vous invite à vous plonger dans cette expérience visuelle et auditive.

Quelques mots sur l’auteur :

Denis Morin est un auteur québécois amoureux des arts et des lettres. Pour lui, la poésie représente une synthèse d’images. Il s’illustre aussi bien dans le domaine du polar (L’ours et la ruche) que dans celui de la poésie (Notre-Dame du Verbe). Son attachement pour les arts et sa fascination pour les mots écrits, lus et entendus se métamorphosent, depuis quelques années, en poésies biographiques. La poésie est un art, la biographie en est un autre. Denis Morin est l’un des rares écrivains à se lancer dans la fusion de ces genres.

Diplômé en traduction à l’Université McGill de Montréal, en journée Denis Morin est un employé qui s’occupe des comptes et archives pour un ordre religieux catholique ; mais, de nuit, il devient un auteur. Il prend des notes, établit une chronologie, puis se lance dans l’écriture à proprement parler. Au sein de la maison d’édition VOolume, Denis Morin a notamment publié Barbara, Ebène et Ivoire, Félix Leclerc, l’homme et la poésie et Auguste Rodin, La vie à pleines mains.

 

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