Rouge encor du baiser de la reine | Anne Karen

Par Karen Cayrat.

 

Toujours en quête d’insolite et de singulier, les éditions Quidam ont à cœur de porter des voix contemporaines à la fois vibrantes et hors norme, à l’image d’Anne Karen, dont le premier roman tout juste paru, Rouge encor du baiser de la reine, saura vous séduire par ses audaces d’une originalité fulgurante.

Rouge encor du baiser de la reine est un roman incroyablement hypnotique, luxuriant par son lyrisme exacerbé, ses intrigues captivantes, ses audaces originales et savoureuses à souhait. Il nous offre une plongée palpitante dans la Byzance du XIe siècle, où les triangles amoureux et les complots les plus tumultueux agitent la cour de Zoé Porphyrogenète. Ces éclats nous sont racontés par Nicétas, un eunuque nain, poète, à la marge et hors norme, amoureux éperdu de l’impératrice. Il décide de les adresser à son nouvel et dernier amour : l’humaniste, polygraphe et conseiller des empereurs de Constantinople, Michel Psellos.

Rouge encor du baiser de la reine Anne KarenAnne Karen opte pour une structure singulière et ludique qui mise sur un effet de réel et crée un jeu avec le lecteur. En effet, cette œuvre composée de vingt feuillets aurait été rédigée par Nicétas,  contemporain de Michel Psellos et de l’impératrice byzantine. Ce manuscrit palimpseste résulterait de l’étude des écrits autographes de Psellos et aurait été mis au jour par un historien fictif, René Nanak, comme le révèle une adresse au lecteur qui pose les fondements de cette histoire incroyable et gigogne. Après quoi, les rectos et versos des feuillets se répondent. Anne Karen s’inspire de plusieurs contes et s’appuie sur la Chronographie ou histoire d’un siècle de Byzance 976-1077 de Michel Psellos pour tisser le fil de son récit, ce qui participe à accroître la perte de repères que peut susciter l’ouvrage, et trouble les frontières entre réel et fiction.

Outre le fond, c’est bel est bien le style si particulier et poétique de l’auteur qui subjugue par son incandescente prodigiosité. En effet, Anne Karen cultive l’art précieux des phrases ciselées.  Ces lignes déliées et musicales font preuve d’un lyrisme inventif et vertigineux qui exalte la frugalité de la vie, l’amour, l’espoir, la différence. En se plaçant sous l’égide de Nerval aux abords de son titre, par son exaltation des sentiments, ses réminiscences aux auteurs et arts antiques, par sa défiance des codes classiques ou encore son traitement des thèmes de l’amour et de la nature, ce roman dionysiaque s’offre une dimension romantique, construisant à travers ses 115 pages enivrantes et empruntes de philosophie une véritable réflexion en lien avec des thématiques plus séculaires et actuelles.

Né de l’imaginaire d’Anne Karen, l’eunuque nain Nicétas fait figure de personnage atypique et iconoclaste qui se mêle sans difficultés aux figures historiques avec lesquelles le roman vacille avec élégance. Nicétas se place dans un entre-deux qui oscille entre amour charnel et amour de vertu. En ce sens il donne à l’amour un caractère universel, polymorphe et pluriel. Sa non-appartenance à un genre donné, cette fluidité fluctuant entre féminin et masculin vient étayer et renforcer encore davantage cette idée, tout en participant à susciter une mise en question des genres et des sexualités. Outre cette ambiguïté, ce personnage hors norme et des marges que l’on pourrait qualifier de freak, à la fois exubérant et attachant, se fait le chantre de la différence, de la tolérance, de l’amour de soi et de l’autre ; faisant de ce roman une véritable ode à la liberté et à l’ouverture.

« Tu es né pour chanter les Louanges des Chérubins. » Je ne suis de fait ni un homme ni une femme. N’ai jamais été ni un garçon ni une fille. Je n’ai pas de verge souple qui frappe mes cuisses au rythme de mes pas sous ma tunique quand je marche. Qui s’érige dure et droite à d’autres moments pour viser le ciel. Pas de fente béante où fourrer mes doigts ou quoi que ce soit. […] Pas de poil. Un pubis doux et plissé. Un double menton glabre. Une peau d’ivoire poli. Les petits seins embryon de poire d’une adolescente. […] Les lèvres bien dessinées, pourpres et charnues comme l’intimité macérée du mollusque qu’on appelle murex. […] Les yeux grands, gros et ronds, comme les grains des grappes de raisins géantes qui pendaient à la treille du jardin du Palais Sacré quand nous l’avons quitté. Des yeux à fleur de tête comme ceux des carpes de cent ans de la citerne basilique. Bouffon bouffi. Gras et petit. Grenouille à grande bouche. Suis-je laid ? J’ai atteint un âge et un lieu où la question ne peut plus guère me préoccuper. Nu je suis sorti du ventre de ma mère inconnue et nu je retournerai à la terre. Nu, lisse et sans sexe. Eunuque depuis ma plus tendre enfance. Eunuque et nain. […] Comme si mon tronc était resté prisonnier d’une cage, dont mes rameaux seuls se seraient échappés pour continuer à croître en liberté. Au bout des bras, mes mains sont très belles, très fines, deux fleurs d’une infinie douceur. […] Toujours un grand sourire sur mon visage de pleine lune. Le goût, la jubilation de la vie. […] Sans amour pas de lumière, sans lumière pas de vie. […] Chaque nuit est une mue. […] Je suis l’akrite qui veille à la frontière.

Croyez-nous,  cette œuvre fascinante vous donnera l’envie de vous replonger dans l’Histoire et vous laissera longtemps Rouge encor du baiser de la reine !

128 pages 14 €

Collection : Hors collection

mai 2018 — 140 x 210mm

ISNB : 978-2-37491-060-4