Par Karen Cayrat.
C’est avec Barbe Bleue de Sylvie Nève, que Pro/p(r)ose Magazine vous invitait à découvrir la Cie du Jarnisy. Une Cie qui ancre sa démarche dans son territoire et puise sa force dans celle de ses habitants, portant ainsi un théâtre contemporain dont le fil rouge se noue d’engagement et de vie. Plus que d’habitude, les représentations qu’offrait le théâtre de la Maison d’Elsa en mai dernier étaient tournées vers les autres.
En premier lieu, le théâtre de la Maison d’Elsa accueillait une nouvelle production, fruit de la collaboration qu’entretiennent la Cie du Jarnisy et le Lycée Jean Zay depuis de nombreuses années. Sous la houlette d’Anne-Margrit Leclerc, directrice artistique de la Cie et metteure en scène, ainsi que de Patricia Szafranski professeur de Lettres, les élèves s’emparaient avec passion et humour de Une Commune, pièce du jeune dramaturge vosgien, Guillaume Cayet, pour une représentation unique, ode au collectif, à la liberté et à l’esprit de révolte.
En second lieu, la première de Qui va changer l’ampoule ? | Tant que je peux…Le plus longtemps possible, marquait le grand temps fort du mois de mai. Une pièce sensible, qui à l’heure où les questions de la perte d’autonomie et des EHPAD investissent les sphères politiques et sociales, tentait non sans émotion et poésie d’évoquer « la brisure parfois discrète entre l’âge adulte et la vieillesse » « ce moment [particulier, intime] où… » « la perte d’autonomie commence ».
À l’origine de ce projet singulier : Hervé Lang, metteur en scène, parti écumer le territoire à la rencontre des habitants du Jarnisy pour recueillir témoignages, tranches de vies et anecdotes pendant près d’un an, en compagnie de Kamel Maad, artiste vidéaste. Porter les voix, une constante, un engagement que la Cie place au cœur de sa démarche particulière, qu’elle souhaite ériger en acte artistique et social. Le Théâtre de la Maison d’Elsa n’a pas son pareil pour capter les récits, l’intime, saisir la vie, il l’avait déjà prouvé, notamment en travaillant avec les voix des Restos du Cœur de Jarny ou celles d’un groupe d’agricultrice.

Mise en scène Hervé Lang
Avec Justine Boschiero et Pauline Collet
Vidéo Kamel Maad
Lumière Marie Demandre
Transcription des entretiens Julie Gothuey
Qui va changer l’ampoule ? vise à désacraliser, démystifier cette vieillesse qui nous concerne toutes et tous. Fidèle à son approche contemporaine, La Cie du Jarnisy opte pour un décor minimaliste qui laisse place à l’expression des corps, des voix, des mots. L’intensité est dans le jeu, dans le discours. Portée par l’éclat de Justine Boschiero et Pauline Collet, la pièce s’ouvre sur un tableau quelque peu insolite, qui saura troubler le spectateur et le surprendre. Seules en scènes, les deux comédiennes font leur entrée sur une musique pop, décalée, sur laquelle elles esquissent des mouvements dansants, saccadés. Derrière elles deux écrans, « deux présences » diffusent des couleurs pop, chatoyantes, qui transpercent d’éclat le reste de la salle plongée dans la pénombre. Le dynamisme et l’humour qui se dégage de la scène contrastent avec la gravité et le sérieux des propos tenus sur la perte d’autonomie, la dépendance, la vieillesse. L’objectif est de dédramatiser, tourner en dérision la caducité. L’âge n’est plus une fatalité. Évoquer la maladie, les difficultés liées au vieillissement, la perte d’autonomie qui progresse, la vie en EHPAD ; c’est déjà lutter, résister.
Les comédiennes conquièrent l’espace scénique comme pour jeter des ponts entre le contraste qui s’établit entre leur mobilité et la sédentarité du spectateur à qui elles livrent des anecdotes auscultant les rapports entretenus entre jeunes et aïeux ainsi que notre manière de refouler l’arrivée de ce passage de la vie « plutôt méconnu, inconnu, ignoré ». Comment s’occuper de nos parents qui prennent de l’âge, comment les aider à vieillir. « Bien vieillir c’est possible ? Si je ne peux plus monter sur la chaise, qui va changer l’ampoule ? » Question simple qui nous laisse pantois tant elle est pertinente, pourra-t-on encore la changer cette ampoule ? Combien de temps ? Qui pour nous accompagner dans ces gestes simples du quotidien ? Nos enfants ? Notre infirmière ? Notre plombier ?
« Moi je suis en plein dedans des choses comme ça qui sont… qui paraissent toutes simples à tout un chacun et puis ben finalement quand tu te retrouves avec…une personne dépendante… voilà… et puis des fois l’aidant qui n’est pas non plus très vaillant on va le dire la moindre chose le moindre problème une ampoule à changer eh bien voilà l’ampoule elle reste là, pas changée voilà. C’est des choses toutes bêtes que vous vous ne pouvez pas faire et… et vous ne pouvez aller demander non plus sans arrêt au voisin… Ou vous vous débrouillez tout seul ou vous ne faites pas. »
L’ampoule évoque tantôt l’espoir, tantôt l’esprit qui anime ces témoignages vibrants d’humanité, de dignité et d’humour, parfois pudiques, parfois parcourus de nostalgie, diffusés sur ces « monolithes » que contemplent Justine Boschiero et Pauline Collet avec tendresse. Un dialogue s’installe entre les comédiennes et les vidéos, jusqu’à toutes les voix se confondent.
Un leitmotiv traverse l’ensemble de la représentation, celui de la résilience, de la résistance qui s’incarne dans le « Tant que je peux…le plus longtemps possible » ou du « Tant que la tête elle marche. » Parce qu’importe l’âge, il s’agit d’exister, de vivre, de goûter au bonheur. La pièce s’achève sur une danse, pleine de poésie, comme si toute distance était abolie, comme si le souvenir, l’âge n’avait pas d’impact, comme si la vie pouvait triompher de tout.
Qui va changer l’ampoule ? Une pièce bouleversante que vous pourrez découvrir en Lorraine, au Théâtre-Maison d’Elsa de Jarny, sur réservation le 5 juillet prochain à 20h30.
Pour plus d’informations sur la Cie du Jarnisy, Pro/p(r)ose Magazine vous invite à consulter le site officiel de la compagnie : https://www.Jarnisy.com/N’oubliez pas de réserver vos places pour assister à la prochaine représentation : Qui va changer l’ampoule, au théâtre-Maison d’Elsa, à Jarny, le 5 juillet 2018 à 20h30.