« Ils vécurent philosophes et firent beaucoup d’heureux » |Marianne Chaillan

Par Jeanne Becker.

 

Marianne Chaillan est auteure et professeure de philosophie. Intéressée par ce qui a toujours ou plus récemment passionné ses élèves, elle publie chez Ellipses en 2013 Harry Potter à l’école de la philosophie, La Playlist des philosophes en 2015 chez Le Passeur Éditeur ainsi que, encore chez ce dernier, Game of Thrones, une métaphysique des meurtres (2016). 

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Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à l’ouvrage publié en 2017, Ils vécurent philosophes et firent beaucoup d’heureux. Une ravissante lecture, tout aussi agréable que profonde et philosophiquement consistante, que nous vous conseillons vivement. Divers personnages et dessins animés sont évoqués tout au long de l’ouvrage (la liste n’est pas exhaustive !)

Amis de la littérature, lecteurs de Stendhal (De l’amour, 1822), rappelez-vous le concept de « cristallisation »… L’auteure vous prouvera par A + B que c’est bien lui qui est au cœur du fameux « La Reine des Neiges ». Un autre concept ? Le « bovarysme », l’impossibilité de se satisfaire du réel, maladie bien présente chez Ariel alias « La Petite Sirène ».

Fans de Baloo, vous savez qu’il en faut peu pour être heureux… Vous découvrirez bientôt que notre cher comparse est un fier et sérieux représentant de la philosophie épicurienne. Puisque nous en sommes aux animaux les plus « rigolos » de tous les films Disney, il est à noter qu’Épictète et Marc Aurèle salueraient, chapeau bas, « Hakuna Matata », véritable mantra stoïcien !

Toujours dans la plus subtile des philosophies… Le principe d’éthique animale introduit par Bertham est présenté dans « Les 101 Dalmatiens », à l’instar de celui de la responsabilité face au progrès technologique (Hans Jonas) dans le film « WALL-E ».

Un concept un peu plus complexe apparaît dans le traitement philosophique de « La Belle et la Bête », issu du Banquet de Platon. Il s’agit de la nécessité d’une dialectique depuis le sensible vers l’intelligible (l’opposition-union entre la beauté extérieure et intérieure est mise à rude épreuve). Quoi qu’il en soit, l’auteure est une experte en pédagogie et tout semble si simple, autant pour les profanes méconnaissant Disney ou, dans un autre registre, la philosophie en général.

« Peter Pan », c’est Descartes. Ce dernier, qui, au sein des Méditations Métaphysiques, se montre clairement sceptique : peut-on distinguer le rêve de la réalité ?

« Pocahontas », c’est Montaigne. Les Essais. En effet, selon lui, comme dans le long-métrage, on tend à discriminer indûment ce qui nous est étranger, le considérant comme inférieur. Cette défiance est bien mutuelle : nous ne voyons les choses que dans la perspective qui est la nôtre. Un conseil ? Accueillir l’altérité avec davantage de bienveillance.

L’ouvrage évoqué le plus récent ? L’Existentialisme est un humanisme. Le chapitre « Judy Hopps, sur les pas de Sartre » (« Zootopie ») s’attache à démontrer que la situation initiale n’est jamais, au grand jamais, déterminante.

Durant votre lecture, vous en saurez également bien plus sur « Blanche Neige », « Là-Haut », « Vice Versa »…

Suite et fin de cet article, pour ne pas dévoiler tout : la typologie des méchants. À l’image d’Ursula ou du Capitaine Crochet, ils sont les victimes et prisonniers du « ressentiment », sentiment principalement évoqué par Nietzsche. Des affects puissants, une haine qui naît de l’impuissance et engendrent toute une soif de vengeance. L’issue ? La création de boucs émissaires, voire la désignation d’autres coupables pour tous leurs malheurs. Toujours évoquant Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra), Marianne Chaillan nomme Frollo l’ « halluciné de l’arrière-monde ». Sa frustration et son caractère fort réac’ sont à l’origine de son impuissance, de la souffrance et surtout d’un jugement moral allant jusqu’à l’extrême (« Le Bossu de Notre-Dame »). Quant à Maléfique (« La Belle au bois dormant »), elle est profondément mue par la « passion triste », expression chère à Spinoza (L’Éthique).

Enfin, l’accent est mis sur Mère Gothel (Raiponce), de par son refus de l’inéluctable finitude de la vie. Cela l’empêche complètement de vivre authentiquement : toute condamnée qu’elle est à tenter jour après jour d’éviter la mort, elle mène une vie qui n’est pas vivante. C’est grave, docteur ? Le fin mot de l’histoire, c’est qu’elle aurait bien besoin de lire Heidegger (Être et Temps)…

Bonne lecture, partez à l’aventure !



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 Poche: 217 pages

Editeur : Des Equateurs

Collection : Parallèles

ISBN-13: 978-2849905319

 


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