Par Karen Cayrat.
Outre Retour à Budapest de Gregor Sander, une autre publication se dévoilait aux éditions Quidam en ce début d’année, Un cadenas sur le cœur, premier roman bien mené, de Laurence Teper, qui suscitera l’attention par sa forme.
« Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme une évidence. »
—Arthur Schopenhauer
Premier roman à la structure aussi habile que pertinente, Un Cadenas sur le Cœur de Laurence Teper nous invite à nous interroger sur ces liens qui nous unissent, en nous plongeant dans une fresque familiale.
Si les premiers chapitres dressent le portrait de chaque protagoniste avec ironie et posent les jalons d’un récit porté par une écriture légère mais tonique capable d’entraîner le lecteur dans ses rouages ; c’est une quête de sens et de vérité, qui se déploie au fil de ces pages. Celle de Claire Meunier, décidée à démêler cet entrelacs de mensonges et de faux-semblants sur lequel son identité s’est forgée et sa vie construite, et qui va se consacrer à la recherche de ses origines.
Tout à la fois pièce de puzzle et/ou de théâtre, ce roman se divise en trois actes, comme pour accentuer voire dénoncer cette injonction de mise en scène de nos vies, pointer ces masques auxquels nous donnons la réplique — catharsis d’une société où toutes les vérités présentent un risque et ne sont pas bonnes à dire, une société où l’on ne peut perdre la face. Outre l’ambition critique, cette division du récit reflète l’évolution de Claire Meunier marquée par une jeunesse happée par la joie de vivre, traversée par des épreuves et drames face auxquels il lui conviendra de se reconstruire.
« Aux yeux de sa fille, Gisèle Meunier était une personne bizarre. Malgré tous ses efforts, Claire Meunier ne parvenait pas à trouver sa mère normale. Pourtant, toutes les apparences jouaient en faveur de madame Meunier. « Dieu qu’elle est gentille, cette femme ! », s’exclamaient les commerçants. « Votre mère est quelqu’un de très sensible », assénait le médecin de famille aux enfants Meunier. « Qu’est-ce qu’elle aime ses enfants ! » s’aventuraient ceux qui ne la voyaient pas souvent. Il y avait même des gens pour trouver particulièrement assorti, harmonieux le couple formé par Monsieur et Madame Meunier.
Claire, elle, savait, sans savoir comment elle le savait, que sa mère était un château de cartes posé sur des sables mouvants. Aussi ne lui en voulait-elle pas de ses incartades et leur trouvait-elle toujours explications et justifications. Certes, sa mère avait confié Claire à sa sœur jusqu’aux trois ans de la fillette – plus précisément, jusqu’à la naissance de Ludovic – mais il était entendu que cela avait été pour elle un sacrifice terrible, consenti uniquement pour le bien de l’enfant. Certes, sa mère vidait par-dessus la fenêtre de la chambre les tiroirs de Claire dès qu’un papier en dépassait, mais tout le monde savait que c’était par souci éducatif, et Claire excusait sa mère, s’en voulait même de l’obliger à se montrer sous un tel jour et se dépêchait d’aller rechercher dans le jardin ses affaires abîmées. Certes, sa mère faisait la tête, régulièrement et sans raison identifiable, mais il était présupposé que c’était parce que son intelligence lui faisait entrevoir ce qui échappait aux autres. Certes, sa mère haussait les épaules lorsque Claire lui demandait si elle l’aimait, mais aussi, pourquoi Claire posait-elle des questions si bêtes. Pourquoi obligeait-elle sa mère à dire ce qui était évident ? Madame Meunier se montrait vexée de cette question et Claire s’en voulait. […] »
Avec ou sans cadenas, votre cœur saura battre pour ce premier roman de Laurence Teper paru en ce mois de janvier aux éditions Quidam.
196 pages
ISNB : 978-2-37491-092-5