Par Caroline Dessaint.
Micro maison d’édition indépendante, les Éditions des Véliplanchistes, spécialisées dans l’art, la linguistique et la littérature transportent ici le lecteur dans la nature sauvage au bord de l’eau, tout au long de l’ouvrage de Laetitia Monfort et Lauriane Schulz. À travers des mots langoureux, une plume douce et un coup de crayon subtil, vous découvrirez la vie monotone des carpes et celle, excitante, des pêcheurs, qui au fond ne sont pas différentes l’une de l’autre, entre amour, faim et soif de vie.
Édité à seulement 150 exemplaires, ce court récit poétique se mêle à des illustrations à l’encre de Chine pour nous faire voyager dans un doux univers, celui d’un étang, un jour de pêche presque comme les autres, sur une barque au milieu de l’eau, mais où toutes les émotions s’entrecroisent pour former une prose un brin érotique, dont on ne saisit pas toujours le sens, à travers des allusions aux corps qui se frôlent, aux sourires, aux heures passées ensemble dans un lieu exigu. Globe-trotteuse et amoureuse des grands espaces, Laetitia Monfort (née en 1984) signe ici son premier ouvrage.
C’est l’histoire de deux pêcheuses, sur une barque, au fil de l’eau. La promiscuité est ici exprimée à travers le rapprochement des corps. Tous leurs sens sont en éveil dans ce paysage presque idyllique où le calme et le silence sont rois. L’auteure décrit un joli petit écrin de verdure et d’odeurs communes comme celle de la vase. On perçoit la joie, l’euphorie et la passion des personnages pendant leur partie de pêche, comme si ce bref instant était le plus beau de leur journée, l’occasion de se revoir, d’être proches.
« Parfois la faim nous arrache / à l’eau, transperçant la gueule / débile de l’une d’entre nous, / elle s’élève loin et disparaît, / et on la regarde partir ; rampant / au fond des eaux, soupirant / un peu, la bouche ronde. »
En parallèle vivent les carpes, dont nous lisons les pensées ou plutôt les pulsions animales, visqueuses et emplies d’une multitude de sentiments. À travers une prose légère nous découvrons leur vie, entre caresses, odeurs, et amours. Leurs émotions bestiales sont fortes, surtout en ce qui concerne la faim et la reproduction. Elles naissent et aiment avant d’être happées vers une lumière aveuglante, par-delà l’ondulation de la surface de l’eau. Lorsque les pêcheuses commencent à vivre, les carpes achèvent leur vie. C’est un poème d’amour à la vie qui peut être brève mais passionnée, tourmentée et pleine d’aventures. Nous plongeons au cœur de la nature et vivons au rythme des carpes, ces êtres incompris que l’on arrache à la vie. C’est un monde à la fois beau et cruel, doux et sauvage. L’auteure dépeint ici les deux facettes de la vie, de ce monde fait d’eau, d’air et de terre qu’est le cosmos.
« Lorsque ce n’est pas ce truc / venu d’en haut, de la lumière / irritante qui nous arrache / la moitié de la gueule, / c’est la lactescence opaque / de nos ébats qui nous / empoisonne. »
Les illustrations de Lauriane Schulz quant à elles laissent perplexe. Très organiques, elles sont un mélange d’homme, de plantes, de paysages et d’animalité. Il est impossible de savoir réellement de quoi il s’agit, d’algues, de poissons, d’organes humains, le tout formant un ensemble homogène qui nous emmène ailleurs. C’est poétique par les formes douces mais le résultat est très sauvage, un peu comme une carpe ou comme l’univers. Le lecteur laisse libre cours à son imagination pour savoir de quoi il s’agit. C’est comme les tableaux dans les cabinets de médecins, on les trouve beaux, on y voit des choses que l’on connaît, mais pourtant l’ensemble ne nous dit rien. C’est une énigme, comme des sentiments amoureux que l’on cherche à éclaircir mais qui pourtant sont cohérents.
Globalement c’est un joli premier ouvrage, qui mériterait d’être encore plus long. Dans un style fluide, le lecteur est transporté ailleurs, sur des rivages calmes et enchanteurs. Tout comme l’ouvrage Les Mains libres de Paul Éluard et Man Ray, ce court récit dompte le cœur du lecteur à la fois par les mots et par les images. Laetitia Monfort signe ici une ode à la nature et à la vie.
Édition limitée
48 pages
ISBN : 978-2-9561700-5-1