Par Karen Cayrat.
“On invente des mots pour conjurer le mauvais sort qui nous accable, les énergies qui nous vident.” -Lucien Rahmaj
Après un premier essai tout aussi remarquable que remarqué Crevel, Cénotaphe, Marc Verlynde nous revient entre deux chroniques avec un nouveau titre : Un vide, en soi, également paru aux vives et audacieuses éditions Abrupt.
Avec la même méticulosité et exigence qu’au sein de son précédent ouvrage, dans lequel Marc Verlynde se proposait un retour sur cette figure encore trop méconnue pourtant fascinante de cet indomptable surréaliste que fût René Crevel, l’essayiste entreprend ici, avec cette nouvelle production, de passer au crible les représentations du vide qui jalonnent notre littérature contemporaine. Une démarche ambitieuse mais réussie.
“Tout désir de dire s’élance d’un vide.”
“Le roman c’est l’histoire d’un inachèvement, il faut en déceler les interstices, en rêver les ailleurs. Ou pour le dire autrement : le roman serait le lieu où se conserveraient les débris d’un projet qui le dépasse, les résidus d’une conception plus grande que lui, les biffures de ce qu’il ne parvient à dire. Voilà le vide, plurivoque, mouvant, onirique. Il s’agirait alors de le maintenir ouvert, en aucun cas de le combler, de l’épuiser, mais bien d’en refléter des facettes, de spéculer sur ses miroirs différents croisés au fil des déambulations des lectures.”
Alors que le roman triomphe sur les étagères de nos libraires, renouvelant à chaque rentrée ses propositions, Marc Verlynde tente de saisir ce point de bascule qui préside à sa création, cet instant rompu où le « désir de dire » se fait sentir, s’élançant d’un vide fantasmé avec lequel il s’agira de (dé /ou re) composer. Un vide qu’habite tout parcours d’écriture ou de lecture. Un vide, en Soi qui peut-être, finalement, selon l’auteur, constituerait une potentielle (re)définition de la littérature d’aujourd’hui embarquée dans des lacis d’illusions, d’incertitudes, de tâtonnements, autant que de vertiges.
Armé d’une grande acuité, d’un socle solide de regards de praticiens et théoriciens sur lesquels prendre appui mais surtout d’une inventivité savoureuse, témoignant d’une grande érudition tout comme d’un goût certain et iconoclaste, l’auteur nous entraîne dans des méandres fins et lumineux. Que celles et ceux qui prendraient peur à la lecture de ces lignes se rassurent, il ne s’agit pas ici d’un de ces énièmes pavés dont l’académisme et la complexité pourraient rebuter ni d’une de ces lectures que vous laisserez choir. Non. Marc Verlynde est un excellent passeur, il saura capter et retenir votre attention tout en maitrisant son propos.
En effet, sa pensée se déploie sans encombre, avec une légèreté et une fluidité telle qu’elle constitue une grande force permettant à tout à chacun désireux d’aborder cette réflexion dûment profonde et vivace, d’y trouver une porte d’entrée. Le lecteur gagnera à se laisser porter par le fil d’Ariane proposé, il appréciera au passage le parfum séditieux qui émane de cet écrit de même que les calembours qui parent ses pages discrètement.
Par ailleurs, son originalité, Un vide, en soi, la cultive d’une part en faisant la part belle aux jeux d’associations, d’emprunts et de collages, qui à notre sens ajoutent sans conteste à la qualité de l’ouvrage ; d’autre part à la pléthore de références que l’auteur n’hésite pas à convoquer et à mobiliser, jonglant avec des classiques Blanchot, Bataille, Leiris, tout en les mêlant à des voix vives et actuelles à l’image de Manuel Candré, de Cartarescu, Jason Hrivnak, de Benoît Vincent, Ben Lerner, Siri Husvedt, Cécile Portier et Claire Messud, de Jacques Abeille, de Pierre Cendors, d’Amélie Lucas-Garie, Lucie Taïeb et Lucien Raphmaj comme de John Burnside ou encore James Sallis.
Outre cet habile parcours biffant les représentations, cet essai pose en toile de fond nombre de questions vives autour de la littérature, interrogeant ses caractéristiques, ses pratiques mais aussi le rapport que l’on construit et entretient avec elle.
On notera que la version antilivre que proposent les éditions Abrüpt fait la part belle au(x) désordre(s), à l’hyperlien et à l’art de la biffure. Elle offrira pour sa part une toute autre manière d’explorer cet ouvrage précieux à la fois ludique et innovante avec notamment la possibilité d’enclencher différents parcours de lecture reposant principalement sur l’aléatoire, une expérience numérique s’adaptant et sublimant à la perfection le riche propos de cet essai.
Rappelons également que le vide, Marc Verlynde ne cesse d’en explorer les abysses dans l’enceinte de son blog de lecture/écriture, La Viduité, qu’il tient depuis 2016, auscultant sans relâche d’une sensibilité et d’une plume vives les crues et décrues qui affluent sur les étals des libraires. Nous vous en recommandons chaleureusement la lecture de même que de celle d’ Un vide, en Soi, offrant une vision audacieuse et renouvelée de notre littérature contemporaine.

Une réflexion sur “Un vide, en Soi | Marc Verlynde”
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