Par Karen Cayrat.
Publié de concert par les éditions de la Crypte et les éditions Henry, Presque siècle de Stéphane Lambion offre une dérive poétique autour du deuil.
Lauréat du Prix des Trouvères Lycéens 2022, Presque siècle, deuxième livre du traducteur et poète Stéphane Lambion est un recueil sensible découpé en trois sections, impulsant un mouvement construit, souterrain et porteur.
Celui qui depuis quelques années maintenant interroge nos “corps dévorés”, rongés par les pathologies, la douleur, dans une recherche-création tentant de saisir les rapports entre poésie et maladie, propose ici, au fond, un recueil qui dit l’érosion du temps, notre marche lente à ses côtés. Il ausculte le passage des générations, mais creuse aussi et surtout les topos de la perte et du deuil. Des thématiques que d’aucuns pourraient trouver difficiles à aborder ou vers lesquelles il pourrait leur être ardu de se tourner. Nul pathos ou gravité dans cet ouvrage, au contraire, tout semble en apesanteur.
Le cheminement est délicat, subtilement pensé. Soigneusement élaborée la structure même de Presque siècle joue de la métaphore pour faire vivre le texte. Dès les premiers vers, la fragilité des êtres s’esquisse, la progression sinueuse, inévitable vers la mort se fait sentir. La grand-mère boîte, bientôt son corps aux veines épaisses tanné par les années sera à terre, enfouit, ensevelit. La marche, pourtant continue. Il convient d’avancer, malgré tout, malgré la disparition des êtres aimés, seul.e.s bercé.e.s par l’errance de souvenirs imbibés d’un doux parfum de nostalgie heureuse. Les mots cultiveront la mémoire, la feront tenir, invincible.
(un instant
je me réchauffe
à nos vieilles photos
,bouillottes
de papier
à feu doux)
Progresser accompagné de ces silences, cette absence, éprouvés et prenant une large place dans l’ouvrage ne sera pas de tout repos pour le narrateur, en témoigne la réflexion menée autour de la syntaxe, particulière, impactée, en parfaite adéquation avec la démarche du poète. Poète dont les mots, épurés et justes, parviennent ici en quelques coups finalement à rendre compte des émotions et sentiments auscultés, avec une élégance et une maîtrise flagrantes.
Jusqu’au dernier
moment je
respire.
plus vite encore je
respire.
En cherchant à déjouer la mort, peut-être est-ce finalement la vie qui transparait à travers ces pages poétiques et aériennes contenues dans Presque siècle. Nous en sommes convaincue mais libre à chacun de se faire sa propre idée.
PRO/PROSE MAGAZINE 