Un monde où je ne suis nulle part chez moi

Par Serge Muscat.

Partout où je me trouve, même après y avoir séjourné pendant une longue période, je ne ressens jamais cette sensation de familiarité, comme par exemple la vue des boutiques où l’on va régulièrement faire des achats. Même si je suis habitué à ces rues, à ces vitrines, à ces commerces qui parsèment les trottoirs de la ville, je sens quelque chose qui me dit que cet univers m’est étranger. J’ai beau aller n’importe où, j’éprouve toujours la même sensation.

Cette impression qui me colle à la peau n’existait pas lorsque j’étais enfant. Lorsque j’avais dix ans, je faisais un avec le monde qui m’entourait. Puis, peu à peu, en prenant de l’âge, j’ai commencé à sentir une certaine distance avec les choses et les gens. Le concept de familiarité est alors devenu pour moi vide de signification. Une distance entre moi et le monde s’est instaurée, distance inflexible que je n’ai jamais pu faire disparaître. Et lorsque toute familiarité s’évapore, on se retrouve à déambuler dans un univers où tout prend des allures d’étrangetés.

Même lorsque je dis « tu » à un ami, c’est un tu sans proximité, où se dessine un vide abyssal dans lequel il me semble que je peux tomber à tout moment. Et plus le temps passe et plus je m’éloigne de ce rapprochement qui caractérise l’âge de l’enfance, où l’on dit tu aux grandes personnes avec un naturel déconcertant. J’ai tellement vu d’horreurs venant de l’espèce humaine que c’est avec mille précautions que j’utilise le tutoiement. Dire tu est le meilleur moyen de se faire poignarder dans le dos sans ne rien voir venir. Et c’est souvent un ami qui vient vous voler votre femme.

De la distance donc. Il n’y a pas de réalité car le réel n’est jamais perçu tel qu’il est. Cette ville que tout le monde trouve jolie, je la trouve morne et laide. Et une fois dépassé le dépaysement, je trouve toutes les villes invivables. Elles sont ou bien surpeuplées ou bien trop désertes, et aucune ne me paraît à ma convenance. La seule architecture qui m’est supportable est celle du rectangle d’une chambre. Là je peux méditer sur mes expériences passées, me reposer et dormir pour affronter l’absurdité de l’existence. Ces hommes qui vont et viennent, qui partent à la conquête de l’espace alors qu’il y a tant à faire pour réparer notre Terre, ces individus qui hurlent en regardant d’autres individus qui courent et tapent dans une peau de vache gonflée avec de l’air, tout cela me semble totalement insensé. J’ai besoin de beaucoup de sommeil pour oublier la folie des humains.

Une contribution de Serge Muscat | Explorateur infatigable de nouveaux domaines, Serge Muscat, pense que la littérature est ce qui peut nous sauver d’une pensée algorithmique et de sa logique. Prônant  la pluridisciplinarité, il poursuit une quête inachevée en révélant par le biais du littéraire tout ce qui demeure caché et obscurci au premier regard.