Par Julien Bucci.
« tu es un homme
tu le seras »
tu es
un homme
l’homme
mâle
on me l’a dit
en boucle
mon garçon
mon bonhomme
mon grand
mon petit
mon homme
à force de l’entendre je me suis fait à l’idée je suis et je dois être
un homme
alors je suis
nommé
être un homme je n’ai jamais compris jamais bien su ce que ça voulait dire
j’ai toujours été en-dessous
sous la moyenne de l’homme
je ne sais pas réparer ma voiture siffler entre mes doigts je ne sais pas jouer au foot pas
retenir mes larmes
on m’a dit
« sois un homme »
on m’a tendu une boîte d’allumettes « il faut un homme pour allumer le feu »
être un homme ça serait aussi simple que ramasser du bois et rôtir la pitance encore faut-il aimer la viande
et ne pas avoir peur du feu
mais non
je fais tout de travers
homme imparfait
malhomme
pas un garçon manqué
ni une femme
je suis
un homme raté
malhomme
l’imperfection au masculin
et je dois être aussi
une femme ratée
j’ai tout raté en somme
je devais avoir 11 ans
j’avais les cheveux bouclés longs je suis entré dans une boulangerie « bonjour mademoiselle »
ça m’a surpris mais pas déplu
cette sortie
je n’ai pas démenti
chaque organe
fleur
papier
caillou
corps
ciseau a
un nom
toute chose est ainsi
nommée
nous sommes ainsi pressés.es rangés.es
classés.s entre deux planches
on nous a désigné.es
on nous a consigné.es
je suis votre garçon
votre petit aplati
je suis votre bonhomme l’homme
le bon
je suis l’homme de la guerre l’homme du feu
mâle homme
j’ai tenu dans l’herbier
le nom de l’homme
j’ai été l’homme
l’homme de la famille
l’homme de ma mère j’ai été
l’homme de la situation
j’ai été l’homme d’un homme
l’homme d’une femme j’ai été
tous ces hommes
l’homme qui sied
l’homme qui va
l’homme qui convient
rassure
l’homme qui ne change pas
je suis cet être mal nommé
dans un corps assigné
avec mes plis mes rides
avec mes os qui ont cassé
je viens de l’homme
et je m’en vais
me voilà hors de vous
vous m’appelez encore
je réponds à voix basse
avec ce mot qui me fait sortir de moi-même et je vous lance des signes
ma main trace des courbes
aucun trait ne se coupe
je croise à peine les cases aucun carré ne me contient
même les mots
aucun mot ne convient
je me dessine à main levée a traits fins et longs traits
dans l’air
Une contribution de Julien Bucci | Créateur de liens par les mots, auteur et comédien, Julien Bucci a fondé à Lille la Cie Home Théâtre dont le projet se consacre à l’oralité et à l’écriture poétique, à destination d’une multiplicité de publics. Acteur de la lecture et animateur de l’écrit, il développe de façon croissante ses activités d’auteur à l’occasion d’ateliers de pratiques et de résidences. Il milite activement à la diffusion de la poésie contemporaine auprès d’un vaste public. Il est le créateur du Serveur Vocal Poétique, qui permet d’écouter gratuitement de la poésie contemporaine au téléphone. On lui doit notamment Au vert, au vent, dans l’instant, publié aux éditions la Chouette Imprévue, ou encore Prends ces mots pour tenir, paru aux éditions la Boucherie littéraire. D’autres de ses créations ici et là par exemple poèmes dans la revue Hélas, VER(R)UE, le podcast Mange tes mots, la revue 21 minutes, la revue ouverte des Éditions Ardemment, la revue Zeugme, le site officiel de Jean-Philippe Toussaint… et dans des recueils collectifs publiés par les Éditions La Chouette imprévue, les Éditions Encre fraîche, l’application Bibliomobi, les Éditions Corps Puce, le Tiers Livre…
Photo d’illustration : Dorothée Sarah
