LA ROUMANIE, NOTRE SŒUR DE L’EST

Par Stacy Blin.

Aujourd’hui, nous avons décidé de vous emmener vers ce pays à la fois proche et lointain qu’est la Roumanie afin de découvrir ensemble les multiples aspects qui ont fait sa richesse au fil du temps dans son rapport si particulier avec la France. Nous espérons que votre curiosité sera pleinement satisfaite et qu’à la suite de votre lecture, il vous prendra l’envie d’en savoir un peu plus sur notre sœur latine. Lectură plăcută![1]

 

De ce limba română e o limbă ușoară pentru francofoni?[2] : Le roumain, une langue latine

 

Les racines du roumain

Tout aussi étonnant que cela puisse paraître, le roumain est une langue latine, la seule représentante de sa famille dans l’Europe orientale. Au même titre que le français, l’espagnol, l’italien, le portugais ou encore le catalan, le roumain fait partie des langues dites romanes, héritières du latin vulgaire. C’est ainsi qu’au niveau lexical, le roumain compte environ 2 000 mots d’origine latine dans son vocabulaire fondamental, utilisés à 80 % dans la langue courante. Au niveau morphologique, le roumain dispose de plusieurs héritages latins tout particuliers : le genre neutre, inexistant dans les autres langues romanes et les déclinaisons (datif, génitif et vocatif). Nous l’avons dit : le roumain est un digne descendant du latin.

Toutefois, à l’instar de ses sœurs, le roumain s’est enrichi au fil des siècles d’emprunts faits à divers peuples, civilisations et cultures avec lesquels les Roumain.e.s ont été en contact. Etant donné la position géographique de la Roumanie, « île de latinité entourée d’une mer slave » (Mircea Goga), il apparaît évident que les langues slaves ont influencé le lexique roumain dans des domaines aussi divers et variés que le commerce, la médecine, la faune et la flore ou encore l’habillement. Mais le roumain a également emprunté au hongrois, au turc ou encore à l’allemand et au français (dans la seconde moitié du XIXe siècle), marquant un enrichissement linguistique continu au fil des siècles, des rencontres et des cohabitations entre les peuples.

La proximité du roumain avec le français

Etant donné les racines communes aux deux langues, il va de soi qu’il existe de grandes similitudes dans leur vocabulaire. Puisqu’un exemple concret vaut mille mots, nous avons sélectionné une liste de termes roumains avec leur équivalent français pour que chacun.e puisse se rendre compte de la proximité de nos deux langues :

Jours de la semaine/Temps
Roumain Français
Luni Lundi
Marți Mardi
Miercuri Mercredi
Timp Temps
An Année
Corps humain
Roumain Français
Barbă Barbe
Deget Doigt
Braţ Bras
Mână Main
Relations humaines
Roumain Français
Frate Frère
Părinți Parents
Fiu Fils
Soră Sœur
Eléments naturels
Roumain Français
Floare Fleur
Lună Lune
Vânt Vent
Râu Rivière

La ressemblance est frappante, n’est-ce pas ? Mais il existe également foule d’autres sphères dans lesquels le français et le roumain possèdent un vocabulaire très similaire : termes religieux, désignations d’animaux, alimentation et bien d’autres encore !

Fort.e.s de leurs similitudes au plan linguistique, une profonde amitié unit Français.e.s et Roumain.e.s ; un lien tout particulier qui s’est noué très tôt et qui s’est tissé au fil du temps, comme nous allons le voir…

Franţa şi România: o poveste de dragoste frumoasă![3] : L’amitié franco-roumaine

Les liens entre les deux pays à travers l’Histoire

Les relations franco-roumaines sont très anciennes : la toute jeune Roumanie a pu compter sur l’aide de son aînée en 1878, lors de la proclamation de son indépendance que Napoléon III a vivement soutenue. Tel fut également le cas de 1916 à 1918 lorsque le général Berthelot aida la Roumanie à réorganiser et rééquiper son armée, défaite par l’Allemagne, et participa à la libération du pays. La fraternité entre la France et la Roumanie est si forte que les liens réussissent à se maintenir même sous le régime communiste, avec la visite de De Gaulle en Roumanie en 1968. Plus récemment encore, la France a appuyé la candidature de la Roumanie à l’entrée dans l’Union européenne, qu’elle finira par obtenir en 2007.

De Gaulle et Ceausescu à Craiova
De Gaulle et Ceaușescu à Craiova, crédit photo : L’Express

Outre la relation politique privilégiée entre les deux pays, la langue française a bénéficié d’une large diffusion dès le XVIIIe siècle au sein des élites roumaines et des membres de la haute société qui allaient se former dans les écoles et universités françaises sous l’influence des Lumières. Cet engouement des Roumain.e.s pour la langue et les valeurs françaises a perduré, notamment aux XIXe et XXe siècles, époque à laquelle Bucarest sera affublée du sobriquet de « Petit Paris des Balkans » du fait de sa population fortement francophile mais aussi de son architecture modernisée d’inspiration parisienne.

L'arcul de Triumf bucarest
L’inspiration française : L’Arcul de Triumf de Bucarest

Il apparaît donc clairement que le français a toujours bénéficié d’un statut privilégié, à tel point que Charles Drouhet, universitaire franco-roumain, affirme que « s’il existe un pays où le voyageur français ne se sent pas dépaysé, c’est bien la Roumanie. ». Ceci se vérifie dans le système éducatif roumain. Rappelons que le français avait été introduit comme discipline obligatoire en 1776 par le prince Alexandru Ipsilanti à l’Ecole Supérieure de Bucarest. Le français reste de nos jours une langue de choix et la seconde langue étrangère la plus apprise, bien que l’anglais s’affirme de manière plus marquée. A titre d’exemple, dans les années 2000, près de 90 % des jeunes Roumain.e.s apprenaient la langue de Molière à l’école en tant que LV1 ou LV2 et il existe un réseau d’une soixantaine de sections bilingues dans l’enseignement secondaire (lycées), ainsi que de nombreuses filières entièrement francophones dans l’enseignement supérieur. La France est d’ailleurs le troisième pays d’accueil des étudiant.e.s roumain.e.s.

C’est sans doute en partie cette francophilie qui poussa la Roumanie à devenir membre de l’Organisation internationale de la francophonie en 1991 ; Bucarest ayant été élue entre-temps capitale francophone de l’année 2006.

Ecrivain.e.s et intellectuel.le.s roumain.e.s francophones & francophiles

Si la littérature roumaine a connu une forte influence française, les idées ont circulé dans les deux sens. Ainsi, de nombreux.ses écrivain.e.s et intellectuel.le.s roumain.e.s ont eu vocation à écrire en français, par amour de la langue, ou à s’établir sur le territoire français par la contrainte de l’exil, plus particulièrement au XXe siècle. Nous avons choisi de nous pencher sur trois grand.e.s écrivain.e.s d’origine roumaine ayant fortement contribué à la pensée et à la culture françaises…

Eugène Ionesco (1912 – 1994)

Bien connu des lycéen.ne.s français.es qui étudient très souvent l’une de ses œuvres majeures (La Cantatrice Chauve, La Leçon ou encore Le Rhinocéros) en classe de Seconde ou de Première, Ionesco est l’un des écrivain.e.s roumain.e.s les plus influent.e.s en France. Membre de l’Académie française, ses pièces de théâtre sont connues et jouées sur les scènes du monde entier. Dans ses œuvres, Ionesco a vocation à dépeindre l’absurdité de l’existence humaine et est d’ailleurs considéré comme le père du théâtre de l’absurde.

Tristan Tzara (1896 – 1963)

Il est l’un des représentant.e.s les plus connu.e.s et personnage clé du mouvement du dadaïsme qu’il définit comme « ni un dogme, ni une école, mais plutôt une constellation d’individus et de facettes libres » qui placent le doute, le refus des conventions et la remise en cause au cœur de leur pensée. Si le mouvement dada ne sera pas persistant et ne durera que peu d’années, l’art et la pensée du XXe siècle en seront fortement imprégnés. Dans un autre registre, Tzara s’est également engagé dans la Résistance française sous l’Occupation.

Elena Văcărescu (1864 – 1947)

Cette poétesse et romancière a obtenu à deux reprises le prix littéraire de l’Académie française pour ses recueils de poèmes Les Chants d’Aurore en 1886 et Le Rhapsode de la Dâmbovitza en 1889. Traductrice de grands noms de la poésie roumaine tels que Mihai Eminescu, elle a également reçu la Légion d’honneur en 1927.

Mais la Roumanie ne nous a pas seulement apporté de grand.e.s écrivain.e.s ; les arts français ont également été fortement marqués par la présence d’artistes d’origine roumaine comme Elvire Popescu (1894 – 1993) dans le domaine du théâtre et de la comédie, Georges Enescu (1881 –1955) dans le domaine de la musique ou encore Magdalena Rădulescu (1902 – 1983) en peinture.

 

Notre voyage se termine… Nous avons pu constater qu’au fil des siècles, la France et la Roumanie ont été des partenaires de choix, aussi bien dans les relations politico-commerciales que culturelles (en témoignent les différents instituts culturels français en Roumanie et l’Institut culturel roumain de Paris). Le français est la langue de cœur des Roumain.e.s et fait véritablement partie de leur patrimoine, à tel point que l’écrivaine Magda Cârneci affirme, non sans conviction, que la Roumanie, bien plus qu’une « île de latinité », représente finalement une « île de francophonie » en Europe de l’Est… Car, comme l’a si bien dit le diplomate roumain Nicolae Titulescu, « quand il s’agit de la Roumanie et de la France, il est difficile de séparer le cœur de la raison. ».


[1] Traduction : Bonne lecture !

[2] Traduction : Pourquoi le roumain est-il une langue facile pour les francophones ?

[3] Traduction : La France et la Roumanie : une belle histoire d’amour !



Bibliographie

  • GOGA Mircea (2007), La Roumanie : culture et civilisation, Paris : PUPS
  • PERISANU Mariana (2005), Ecrivains français d’origine roumaine et leur rapport à la langue, Les Actes 2005 de la XXIe Biennale de la Langue française
  • TAFTA Nicolai (2011), Les relations culturelles franco-roumaines au cours des siècles, Académie d’Orléans

Sitographie