Un doigt sur la bouche

Par Loïc Perela

Pouvais pas me retenir de le dire, ça pesait sur le corps. Des douleurs musculaires, des crispations, pouvais presque plus mettre un pied devant l’autre. M’avait dit tais-toi, m’avait dit t’aurais prévenu. M’avait prévenu, ai pas pris grade. Ai dit, veux plus de toi, ai dit laisse-moi partir. 

M’a poussé contre la porte, m’a donné un coup en plein sternum. Aurais mis une main sur son poignet comme on met un doigt sur la bouche. Pour l’arrêter, l’empêcher, faire que ça passe. Passer à autre chose. Sans bousculade, sans violence, sans être poussé contre la porte. Porte qui s’ouvre qui lâche qui cède. Corps qui tombe qui dévale qui se retrouve en bas. 

Violence a été verbale. Mots ont été fronde comme coups comme uppercuts. M’a dit va te faire foutre, aurais aimé qu’il me dise reste. Suis là comme déjà parti comme à contre cœur comme laissant à l’autre la chance qu’il vous retienne. Ça chiale même pas, larmoie pas, ça joue l’indifférence. 

Suis sorti seul comme un grand. Pas d’atèle de béquille de mec qui vous tienne. Me manque pas, ma chair l’appelle. Peux faire sans, ça faisait déjà longtemps qu’il me secouait pour que je me casse. Pour que je le dise que je sois celui qui fait déborder le vase, qui fait se briser la glace. Aille se faire foutre par un autre il aimera ça. Moi pas, moi préfère penser à autre chose. 

Y’a quoi d’autre appart lui. Plein plein, plein de choses. Vais déjà m’assoir à une terrasse lire écouter voir regarder. Les pigeons les dames les gosses les beaux les bruits des idées. Des idées des idées, j’en ai plein la tête. Tête qui va exploser. Mieux sans. Lui le boulet que l’on traine. Jamais assez rassasié appliqué intéressé, qu’on me laisse tranquille. Bye bye l’amant de trois ans, d’une vie, de la mienne. Peux faire sans toi, regarde, regarde comme je me démerde. 

Léger, léger, je flotte. Je flotte dans les eaux les airs mon corps n’a plus de substance. Il est là il est où. Toi loin déjà moi à des kilomètres. De plus en plus d’un autre monde on était quoi avant. Comme ceux qui marchaient côte à côte qui riaient mais pas que. Ceux qui se soulaient à coups de négos de terrains d’ententes difficiles à trouver, difficiles à vendre. Léger, suis léger comme on vogue, sais pas où je vais mais j’y vais sans toi. 

Si seulement m’avait mis un doigt sur la bouche pour que je me taise comme sa main sur mon poignet pour me retenir j’y serais encore. Dans cette chambre ce trou ce nid des possibles. Lui plus moi égale interrompus par la connerie humaine. Lui plus moi égale on tourne la page pour recommencer les mêmes conneries avec un autre. Suis pas assez positif devrais être équanime. Laisser la chance à un autre. Qui, je ne sais pas. Pas envie. Pas là. Pas tout de suite. 


Une contribution de Loïc Perela | Le rapport à l’écriture de Loïc Perela a été académique, en anglais, à travers des études d’Histoire de l’Art et de Philosophie. Il a été récréatif, en français – sa langue maternelle bien que celle-ci se mêlait avec l’espagnol. Il a été les lectures, dans les deux langues (français, anglais). Et puis, écrire s’est imposé à lui. Plongée journalière qui a coïncidé avec son choix de vie en autarcie, au Portugal, après avoir vécu dans plusieurs pays d’Europe pour son métier de performeur, chorégraphe et professeur de danse classique et contemporaine (qu’il continue d’exercer en pointillé). Il a coïncidé avec son besoin de ralentissement dans cette course artistique, littéralement de la performance. Depuis, Loïc Perela trouve dans l’écriture une nouvelle forme de processus créatif qui l’accompagne en profondeur, lui permettant d’explorer les dimensions du queer, de l’(homo)-sexualité mais pas que. De l’humain, ses méandres dans le monde contemporain. Dans les interstices il écrit des textes courts, nouvelles, pensées, poésie…

Avec la complicité de Leroy Manuhutu pour l’illustration | Le travail de Leroy Manuhutu est inspiré et guidé par sa fascination pour l’impermanence des choses. Son processus se développe à l’intersection entre le design intentionnel, l’introspection et l’observation des forces élusives qui l’entourent et façonnent notre monde. Son travail se déploie autour d’Altar Studio – une pratique solo spécialisée dans le design digital.