Interview | Diamant (poétique) de Jamaïque : Christena Williams, Pearls among Stones

Par Karen Cayrat.

Traduction anglais/français : la rédaction de Pro/p(r)ose Magazine

Par choix de traduction : nous conservons les poèmes en version originale afin de laisser à notre lectorat l’occasion d’apprécier la force et la musicalité de ces derniers.

Avec Pearls among Stones Christena Williams donne à lire et entendre une poésie pleine d’espoirs entre tradition poétique et modernité. Une voix venue de Jamaïque sans conteste à suivre ou à (re)découvrir.

Pro/p(r)ose Magazine : Peux-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs et revenir sur ton parcours, s’il te plaît Christena ?

Christena Williams : Bonjour et merci de m’accueillir. Je suis Christena Williams, également connue sous le nom d’Antonia Valaire. Il est intéressant de noter que les noms ci-dessus sont tous mes vrais noms, que j’utilise de manière interchangeable lorsque j’écris et que je me produis. Je viens d’un pays où l’air est frais et salé, rempli de mangues, d’oranges et de fermes où l’on cultive l’ananas. On y entend beaucoup de tambours congo et de musiques rythmées qui font se balancer le corps et élèvent l’esprit. Les gens peuvent être extrêmes, d’une bonne ou d’une mauvaise manière, et c’est ce qui nous rend uniques. Un pays qui court vite et qui n’est peut-être qu’un point sur la carte, mais qui a le cœur d’un lion et d’un guerrier capable de rivaliser avec les meilleurs à n’importe quel niveau. Je suis originaire de la Jamaïque. Mon introspection et ma personnalité révèlent que je suis une personne introvertie, mais capable d’être ambivertie si nécessaire. J’ai fait le test mbti plusieurs fois et il en est ressorti que j’étais un INTP. Je suis encore en train d’étudier ce type de personnalité, mais ce que je peux dire, c’est que je suis très décontractée, facile à vivre, franche, joviale, réservée et que j’aime raisonner sur des sujets variés. J’ai grandi dans une communauté urbaine appelée Cumberland, dans la paroisse de Sainte-Catherine. Il s’agit d’une communauté ouvrière très tranquille pour la plupart. J’ai grandi dans un foyer monoparental, mon père ayant malheureusement abandonné sa famille et sa femme, ce qui a entraîné des dysfonctionnements dans mon foyer et des discriminations qui m’ont valu des moqueries. J’ai grandi avec ma mère et mes trois frères. Je suis la seule fille et le dernier enfant de mes parents. Mon père pourvoyait aux besoins de la famille et ma mère restait à la maison, ce qui nous a plongés dans une grande pauvreté qui nous a valu d’être privés d’eau et d’électricité pendant des années et d’avoir failli perdre notre maison. En dépit de cela, j’avais un stylo, du papier, un marqueur et beaucoup de livres que ma mère m’avait achetés et que mes cousins m’avaient transmis. La lecture et l’écriture étaient mon réconfort, ma voix, mon imagination pour rêver et échapper à la folie qui m’entourait. J’étais une enfant très observatrice, j’étais donc très à l’écoute et consciente de ma situation et de mon environnement, ce qui a inspiré mes écrits. J’ai commencé à écrire des chansons et des poèmes à l’âge de dix ans. Vers 14 ou 15 ans, j’ai écrit un poème intitulé « survival » qui a remporté un concours de talents dans ma communauté à l’âge de 17 ans. Ma première publication c’était dans le journal The Gleaner en Jamaïque elle s’intitulait « Heart Surgeon » et j’avais 19 ans. C’est ce qui m’a amené à me lancer professionnellement dans l’écriture. Sur le plan professionnel, je suis animatrice et bénévole pour la jeunesse, poète, écrivain, éditrice, et artiste spoken-word. J’ai été nominée à la 39e édition des International Reggae and World Music Awards (IRAWMA) dans la catégorie « Spoken Word » pour Alma mater et le lycée de Spanish Town. J’ai remporté l’International Spoken Word Artist décerné par People of Extraordinary Talent (P.O.E.T), USA, que j’ai à nouveau reçu en 2021. En tant que créatrice de podcasts The Verandah Conversations, a été nominée dans la catégorie Meilleure émission de radio ou en ligne, par (P.O.E.T), en 2022 et 2023. Je suis titulaire d’une licence avec mention en histoire et en philosophie de l’université des Antilles. Mon livre « Pearls among Stones » a remporté the Prime Minister’s National Youth Award. Je suis aussi l’autrice de « Black Gold » et de « Out from Babylon System : Liberation of Mind ». En plus d’écrire, j’ai participé à la Jamaican Poets School Tour, au Jamaica Poetry Festival organisé par le légendaire et primé Dub Poet Yasus Afari, au Bridgewater International Poetry Festival Virtual (États-Unis), et ai présenté une vidéo à Ronda Leiria Poetry (Portugal), Sommet de la jeunesse sur la criminalité et la violence, PNUD, présenté dans The Gleaner, Random Poem Tree (T&T), Poetry NZ 47 (Nouvelle-Zélande), j’ai été présélectionné au concours de poésie Desmond O’Grady (Irlande), & Matches shoes box a été inclus dans le Miss Lou 100 +Voices, (Jamaïque). J’ai travaillé comme coordinatrice de projet pour le mentorat musical Manifesto JA au Tuff Gong Studio, comme assistante de Cherry Natural, poète dub vétéran et lauréate 2019 de l’IRAWMA, et de Lorna Goodison, poète lauréate, dans le cadre du programme « All Flowers Are Roses » à la Bibliothèque nationale de la Jamaïque. Je suis une ancienne élève de l’International Republican Institute, une organisation basée aux États-Unis. Il s’agit d’un cours que j’ai suivi avec distinction dans le cadre du Caribbean Youth Fellowship Programme in Leadership & Public Policy avec le CAPP, l’IRI et le NED. Par la suite, j’ai été choisie comme l’une des meilleurs jeunes leaders pour représenter la Jamaïque à Saint-Domingue, en République dominicaine. J’ai également bénéficié de la bourse CATAPULT A Caribbean arts grant en 2022, en collaboration avec Kingston Creative, The American friends of Jamaica et Open societies foundation. J’ai également été sélectionnée parmi 252 candidatures des Caraïbes pour représenter la Jamaïque au Marché de la Poésie en France, financé par l’UNESCO, l’UE et Transcultura : Intégrer Cuba, les Caraïbes et l’Union européenne à travers la culture et la créativité en 2023.

Pro/p(r)ose Magazine : Pearls Among Stones a été publié récemment et se compose d’une grande variété de poèmes. J’aime beaucoup la façon dont tu utilises les formes traditionnelles et classiques telles que les sonnets, les odes, les acrostiches et les transformes de façon moderne. Ce n’est pas quelque chose de facile à faire. Pouvez-vous nous en dire plus sur ton processus, par exemple sur la façon dont tu utilises le mètre dactylique dans tes œuvres ?

Christena Williams : Merci. Il convient de noter que je suis une poétesse sans formation, en cela que j’écris simplement ce que je ressens et que cela se manifeste sur le papier d’une manière spirituelle. Mon processus d’écriture varie en fonction de ce que j’écris et de ce que je ressens. Parfois, un texte ou un poème peut me venir pendant mon sommeil et je dois me réveiller pour l’écrire. D’autres fois, je peux être en train de regarder un film, d’écouter de la musique ou je suis dans le bus et j’entends la conversation de quelqu’un. Mais Non ! Il ne faut pas croire que je suis une fouine, je n’embête personne, mais d’une manière ou d’une autre, un mot ou une histoire peut attirer mon attention, d’autant plus que les Jamaïcains sont l’un des plus drôles et des meilleurs conteurs d’histoires et qu’ils parlent très fort dans le bus. D’autres fois, je peux être dans ma chambre et un poème me vient à l’esprit. Je crois que mon expérience, ma passion peuvent inspirer les gens, ma culture historique et vibrante m’ouvre naturellement la voie pour devenir écrivain. Les gens et leurs histoires m’émeuvent et je crois que j’ai la responsabilité et l’opportunité de les écrire et de performer ces histoires pour qu’elles prennent part aux traditions littéraires et orales. Lutter et combattre l’injustice sociale dans ma société, c’est aussi quelque chose qui me motive énormément. Ces thèmes ont conduit aux formes décrites et à la manière dont elles sont présentées sur le papier ou à travers les mots, le son et le pouvoir ce qui équivaut à la performance sur scène. En ce qui concerne le mètre dactylique utilisé dans mon flux d’écriture, j’aime mélanger les choses et essayer différentes manières d’exprimer une forme libre avec un peu de tradition.

Pro/p(r)ose Magazine : Il y a beaucoup de force-s dans tes mots, quelque chose qui pulse un espoir, une lumière, une volonté de dépeindre le meilleur comme de combattre le pire dans notre monde, dans nos sociétés. Ce poème témoigne de cette lumière et de cet espoir que l’on trouve dans tes mots. Nous pouvons sentir au plus profond de ta poésie certaines de tes inspirations venant de l’Histoire comme celle de Martin Luther King Jr ou des classiques ainsi que de la musique. Nous pouvons voir cela dans ton livre de poésie (certains de tes poèmes peuvent être vus comme des hommages à Maya Angelou, Rosa Parks, Bob Marley, Tracy Chapman, Michael Jackson, Shakespeare…) Comment gères tu toutes tes inspirations ? Quel est pour toi le rôle du poète dans la société ? Et comment décrirais-tu ta façon de t’engager avec et à travers ton art ?

Christena Williams : Pour moi, l’inspiration se trouve partout et chez tout un chacun. Je peux être inspirée par n’importe quoi et n’importe qui. Pour moi, c’est sans fin et sans limite. Je ne suis pas très émotive, mais il m’arrive de pleurer en regardant un film, en écoutant une chanson ou en lisant ou écoutant un témoignage ou l’histoire de quelqu’un. Ce sont les gens qui m’émeuvent le plus, car ils sont comme une étoffe aux multiples motifs et couleurs qui s’entrelacent pour former un tout. Nous sommes tous liés et j’espère avoir un impact positif avec ce que j’écris. Si je suis inspirée, on peut être sûr que je vais en tirer un poème, car l’inspiration est partout, à condition de prendre le temps de la voir objectivement.

Le rôle des poètes est intimidant, car je pense que nous sommes les griots, les diseurs de vérité, impartiaux, sans honte, non orthodoxes et rebelles. Notre devoir est d’écrire la société telle qu’elle est et telle que nous espérons qu’elle puisse être, de donner de l’espoir et d’offrir autant de perspectives que possible, telles qu’elles se reflètent dans la société. Nous sommes ceux qui prennent la parole pour ceux qui n’ont pas de voix et qui donnent de l’espoir à ceux qui n’en ont pas. Nous ne sommes ni des martyrs ni des sauveurs, mais nous faisons partie de la révolution qui transforme la société grâce à nos œuvres et à notre activisme. Tout ce qui précède c’est bien et formidable, mais la société nous acceptera-t-elle et acceptera-t-elle ce que nous avons à dire ?

Mon art ne m’est pas personnel je ne le fais pas pour me sentir bien et probablement pas pour devenir célèbre, mais sert-il un objectif plus élevé, transforme-t-il des vies et aide-t-il quelqu’un à sourire, à pleurer ou à rire ? Ai-je rendu justice en écrivant l’histoire de quelqu’un ? Ai-je aussi froissé quelques plumes parce que j’ai écrit sur un sujet controversé ou abordé un sujet que les corrompus et les conservateurs voudraient que nous oublions ? J’inspire une génération de jeunes à être gentils, positifs et influents et je donne aux autres les moyens d’exiger des changements de la part de nos représentants politiques. Tels sont les critères que j’utilise pour juger mes propres œuvres.

Pro/p(r)ose Magazine : Lorsque nous nous sommes rencontrées il y a quelques mois, tu m’as fait part de l’importance pour toi non seulement de partager tes poèmes, mais aussi de les partager sur scène en les interprétant. Pourrais tu nous parler de ces expériences ? Pourrais tu expliquer quelle est ou quelles sont les différences (selon toi) entre publier tes poèmes et monter sur scène pour les dire ?

Christena Williams : En Jamaïque, dans le milieu artistique nous avons coutume de dire : « mot, son et pouvoir », c’est-à-dire l’écrit, le son qui résonne sur scène et le pouvoir qu’il déploie dans l’atmosphère. Cela éclipse également le chapitre de la Bible de Jean 1, « Au commencement était le verbe »… L’une des toutes premières performances dont je me souviens n’a pas eu lieu sur scène mais au milieu de ma véranda lorsque ma mère m’a demandé de lire l’un de mes poèmes, ce qui est assez drôle, c’était « I rise » (Je m’élève) mentionné ci-dessus et qui s’inspire de la regrettée Maya Angelou. J’étais adolescente à l’époque de cette lecture. J’étais également très timide, mais ma mère a insisté et la sœur de ma mère, Sophia, s’est mise à pleurer. Cela a été un moment déclic et cela m’a fait chaud au cœur lorsque j’ai réalisé que mon travail avait le pouvoir ou du moins pouvait susciter des émotions et toucher de manière spontanée. D’autres fois des personnes sont venues vers moi à l’issue de mes performances parce qu’elles se sont senties inspirées, ce qui les a amenées à vouloir en savoir plus sur moi et sur mon travail, et certaines sont devenues par la suite des soutiens et amies. D’autres encore ont été tant inspirés qu’ils ont écrit leur propre livre et souhaitent désormais performer leurs œuvres sur scène. L’un dans l’autre, j’expérimente les deux cas de figure. En tant qu’autrice et poétesse accomplie et artiste spoken-word, deux aspects passionnants et inspirants. Deux voies difficiles. Ce n’est pas facile d’écrire de bons poèmes et de réussir à les faire publier en recueil. Ce n’est pas non plus évident de déclamer devant la foule et il m’est très difficile de me souvenir de mes propres œuvres. Il faut de l’entraînement encore et toujours de l’entraînement. J’ai le trac avant d’entrer en scène. Mais le positif c’est que dès que je suis sur scène et commence à parler ma nervosité se dissipe. La scène c’est un tout autre jeu, une toute autre façon de prendre la parole que de se tenir devant une salle de classe ou devant une foule, cela implique de savoir comment utiliser sa voix, et faire mobiliser les spectateurs c’est également quelque chose. Il fut un temps où je ne bougeais pas du micro de peur d’oublier mon texte. Depuis mon retour de France, j’ai performé en étant capable d’occuper l’espace scénique et m’engager davantage. Un progrès énorme qui m’a permis d’apprécier poindre en temps réel et au plus près les sourires et les rires sur les visages des gens. Sur scène les réactions sont immédiates, ce qui n’est pas le cas avec la publication où il me faut attendre que quelqu’un lise mon livre, puis me dise plus tard ce qu’il en a pensé ou que je puisse le découvrir sur les réseaux sociaux. Cependant, un livre, c’est aussi durable et tangible, ce qui n’est pas toujours le cas de la performance puisqu’il n’y a pas toujours de captation.

Pro/p(r)ose Magazine : Dans ton poème, Talented Artist, tu écris :

Laisse-moi te dire que, dans l’ensemble, ton rêve devient réalité jour après jour – nous pouvons le voir à travers ta poésie en lisant Pearls Among Stones – il semble que tu sois déjà cette artiste/poètesse talentueuse que tu as un jour rêvé d’être et nous sommes sûre qu’au fil des ans, tout le monde le verra. Merci beaucoup pour tes réponses et pour ton temps, Christena.

Christena Williams : Merci à toi pour cette interview et surtout d’avoir pris le temps de t’arrêter sur ma personne, ma personnalité, ma poésie et mes projets. Ce fut un plaisir de faire ta rencontre et de séjourner en France. J’ai vécu une expérience formidable qui restera à jamais gravée dans ma mémoire. Les français ont été très aimable, l’équipe de l’UNESCO a été très gentille et d’autres poètes caribéens ont fait de mon expérience une expérience enrichissante teintée de gentillesse et de douceur, terreau de fertiles amitiés à venir. Je suis reconnaissante de l’opportunité qui m’a été offerte.


134 pages
ISBN :978-1507600450