Interview exclusive | Sara Balbi Di Bernardo : prendre ré-(in)spiration, Poumon Liquide

Par Karen Cayrat

Des Poésies à la Verticale en complicité avec l’artiste visuel Laurence Marie à Bien essentiels publié chez Bruno Guattari Editeur en passant par son dernier recueil en date Poumon Liquide paru dans la belle collection Spirale-Poésie que lancent les éditions Les Cygnes Sara Balbi Di Bernardo s’impose progressivement dans le paysage poétique de l’Hexagone avec sensibilité et délicatesse. Pro/p(r)ose Magazine est parti à sa rencontre afin de vous offrir une plongée dans son univers entre éther et quotidien.

Pro/p(r)ose Magazine : Avec Bien essentiels publié chez Bruno Guattari Editeur tu nous offrais une plongée dans le quotidien qui nous apparaît comme ton terrain de chasse ton terrain de prédilection, tu nous replonges en pleine période de confinement à travers une sorte d’inventaire de produits courants qui te semble essentiels. Mais c’est bien plus vaste que cela, bien plus profond. De nombreux thèmes sont traversés et se répondent. La question du temps notamment et de l’être. En lisant ton recueil j’ai pas mal pensé à Autobiographie des objets de François Bon, est-ce que cela t’a quelque peu inspiré dans ton travail ? Qu’est ce que disent de nous selon toi les objets que l’on possède ? Racontes-nous un peu le cheminement de ton recueil ? Enfin plus largement qu’est ce qui selon toi est essentiel – la poésie forcément mais encore ? 

Sara Balbi Di Bernardo : Je suis touchée que tu fasses référence à l’ouvrage de François Bon. Dans la postface de Biens essentiels, Philippe Agostini évoque Le parti pris des choses de Francis Ponge. Je pense aussi à Annie Ernaux, pour les liens qu’elle tisse entre Histoire, société, individu et objet, en particulier dans Les Années, un livre que j’aime infiniment. 

Je crois que les objets disent surtout les mécanismes et les déterminismes socio-économiques, le politique. Que disent les objets d’Elon Musk ? et les objets d’un.e livreur·euse qui travaille pour Amazon ? Que disent les objets de l’adolescent·e qui prend un selfie dans le métro ? et ceux de la personne qui dort dans le couloir du RER ? 

Je ne sais pas ce que les objets que je possède disent de moi. Je pourrais me défaire d’une grande partie d’entre eux sans grand chagrin ; ceux de mon enfance ont disparu, ceux de mon histoire pâlissent, ceux de mon quotidien sont beaux, agréables ou utilitaires. Posséder des objets m’intéresse de moins en moins. En revanche, je suis attachée aux livres que j’aime et aux objets qui jalonnent la vie de mes enfants.

L’idée du premier recueil est apparue durant le confinement et s’est articulée autour de la notion de biens essentiels. Le sommaire est une liste des courses (pain, dentifrice, éponge, thé, etc.) et chaque élément de la liste donne naissance à un poème. Les thèmes abordés sont nombreux : le temps, l’écriture, l’absence, la maison, la maternité, la vie matérielle qu’écrivait Marguerite Duras. Si mes textes sont ancrés dans le quotidien, certains poèmes ont une dimension spirituelle, ils questionnent l’être, comme tu le soulignes si justement. Car la poésie est aussi un passage : elle ouvre toutes les fenêtres du mot. Des biens essentiels ? La poésie, l’amour, la justice.

Pro/p(r)ose Magazine :  Avec Poumon Liquide, tu inaugures Sara le lancement de la collection Spirale-Poésie que lancent les éditions Les Cygnes dont Victoria Nguyen Cong Duc connue comme l’instigatrice de la revue et des éditions Hurle-vent vient de prendre la tête. Ici, avec ce recueil, tu prends une nouvelle respiration nous fait découvrir un autre versant de ta poésie pour ainsi dire un autre univers toujours avec cet art de l’image dont ta plume est truffée et qui en fait en quelque sorte sa marque de fabrique. En te lisant je n’ai pu m’empêché de repenser à ce poème de toi que nous avions publié en 2021 bleu-noir dans lequel déjà en quelque sorte on peut y voir des prémices à ce recueil. Comment s’est construit ce recueil ? Quelles ont été tes inspirations et comment t’est venue cette idée ? 

Sara Balbi Di Bernardo : Je suis née dans une ville portuaire, j’ai passé mon enfance au bord de la mer et j’habite en banlieue parisienne. Lorsque je retourne à la mer, je respire. Poumon liquide retrace un séjour estival au bord de la Méditerranée. La mer n’est plus celle de l’enfance ; les plaisirs, les sensations se mêlent aux tragédies politiques, économiques et écologiques, au questionnement, et la mer a une saveur complexe. Deux mois après l’écriture du recueil, Victoria m’a fait part de son projet de création d’une collection de poésie. Elle avait publié mes poèmes dans la revue Hurle-vent et connaissait mon travail avec Laurence Marie ; elle nous a demandé de lui soumettre une proposition illustrée. Nous avons travaillé plusieurs mois (Laurence a créé un premier ensemble d’illustrations qu’elle a entièrement reprises pour valoriser au mieux le très beau papier choisi avec l’imprimeur Escourbiac). Poumon liquide est un bel objet et le premier livre de la collection Spirale. Longue vie à la collection Spirale !

Pro/p(r)ose Magazine : Poumon liquide : pourquoi sans s ? 

Sara Balbi Di Bernardo : Je fais référence au poumon de la Terre, au souffle, à la respiration. Il est au singulier comme l’eau, comme l’air.

Pro/p(r)ose Magazine : Ton recueil s’accompagne d’illustration de l’artiste-visuel Laurence Marie, partenaire de la première heure en complicité de qui tu élabores depuis plusieurs années les Poésies à la Verticale avant d’en venir aux illustrations plus en détail peut-être pourriez vous nous parler justement de cette initiative que vous cultivez à 4 mains ?

Sara Balbi Di Bernardo : Laurence et moi travaillons ensemble depuis trois ans, nous avons expérimenté plusieurs formes (le poème puis le recueil illustré, l’affiche et plusieurs créations hybrides mêlant texte, graphisme, dessin et art digital). Avant Poumon liquide, nous avons publié Solstice du géranium (un poème en hommage à Sylvia Plath) aux Éditions du Carnet d’Or. Nous travaillons séparément sur des projets différents mais nous nous retrouvons toujours autour de nouvelles envies. Il y a entre nos travaux respectifs une sorte de résonance, un lien qu’il m’est difficile d’expliquer.

Laurence Marie : C’est aussi grâce à cette belle collaboration avec Sara, qu’elle m’a aussi initiée plus profondément à la poésie et devoir l’illustrer m’a mené sur d’autres contrées de créativité. J’ai retrouvé le chemin de l’inspiration depuis que Sara est venue me voir pour me proposer d’illustrer son recueil. C’est un très beau cadeau.

Travail autour de M.Duras –les Poésies à la Verticale

Pro/p(r)ose Magazine : Le travail d’illustration que signe Laurence est incroyable à la fois résolument moderne et efficace. Il me semble que se mêlent éléments maritimes et issu du monde minéral (agrandissement de sédiments, sable ?) Quelles techniques as-tu utilisé Laurence ? Comment cela s’est passé dans la création des illustrations as-tu eu un peu carte blanche ou as-tu décidé d’être au plus près des poèmes de Sara.

Laurence Marie : Je suis peintre et illustratrice et j’avais toujours utilisé la peinture et le crayon auparavant mais je suis aussi extrêmement curieuse et je ne pouvais pas ne pas m’ouvrir aussi sur le digital et l’IA. Je pense que tout se complète et s’assemble. C’est ce que j’aime faire. Je m’inspire de l’idée d’ensemble ou parfois seulement de quelques lignes…ça dépend vraiment ce qui va me toucher. La nature, l’animal, l’Homme au milieu, voila ce qui m’inspire.

Exemples d’illustrations figurant dans Poumon Liquide

Pro/p(r)ose Magazine : A l’heure où nous préparons cet interview tu as plusieurs recueils en cours ou proche de la finalisation Sara comme Quoi ? Un O.V.N.I à ce que tu confiais précédemment mais aussi de nouveaux projets en perspective, que peux-tu nous dire là-dessus ? Qu’en est-il de ton côté Laurence ?

Sara Balbi Di Bernardo : Je ne sais pas si Quoi est un OVNI mais c’est un texte étrange qui a commencé comme un jeu pour me distraire d’un autre texte. Quoi fait le lien entre symptôme, délire et poésie, entre souffrance et création. Le délire est pensé comme une manière de dé-lire le réel. Les poèmes se suivent et se forment par des déplacements, des transformations et des associations d’idées. Ces mécanismes sont propres au symptôme, au délire et à la poésie. J’ai trouvé cette proximité particulièrement intéressante. Le texte est une sorte de dissection du muscle poétique. Plusieurs extraits de Quoi ont été publiés dans la revue la forge (#2, février 2024). Je trace en ce moment les grandes lignes d’une adaptation théâtrale du texte. Je ne sais pas encore s’il s’agira d’une pièce de théâtre ou d’une performance scénique. Je travaille sur ce projet avec le photographe Raphaël Girszyn et la comédienne Moana Ferré.  Un texte paraîtra cette année aux Éditions de la Crypte. C’est un texte important pour moi pour différentes raisons, en particulier parce qu’il a ouvert la voie à mes tentatives d’écriture autour de la fêlure du je. Je viens tout juste de terminer l’écriture d’un recueil de 50 poèmes provisoirement intitulé Les mains trouées. Plusieurs poèmes du recueil paraîtront dans la revue margelles, l’hiver prochain.

En 2024, j’espère terminer un texte sur la plasticité du je qui prolonge mes écrits sur la fêlure. Et puis Laurence et moi réfléchissons à une version collaborative des Poésies à la verticale. Je ne sais pas si nous diffuserons un appel à textes ou si nous contacterons plusieurs poètes que nous aimons, mais nous parlons de ce projet qui nous tient à cœur.

Laurence Marie : Je découvre avec enthousiasme et curiosité l’IA. Un nouvel liant de créativité sans limite qui me permet de continuer mon chemin de découvertes, d’expériences qui s’ajoutent aux autres supports créatifs et imaginatifs, qui me nourrissent. En parallèle, avec Sara, nous sommes toujours dans un échange d’idées, de partage pour continuer notre belle collaboration.

Pro/p(r)ose Magazine :  Merci à toutes les deux de votre temps et pour vos réponses que pouvons-nous vous souhaiter en ce courant d’année ?

Sara Balbi Di Bernardo : Vous pouvez me souhaiter et nous souhaiter à toustes l’amour, la justice et la paix. Un grand merci à toi pour ton intérêt et ta lecture attentive. Je te souhaite le meilleur pour 2024.

Laurence Marie : Une très belle année 2024. 

Extraits

Dans mes cheveux flotte

le silence

mi-pieuvre mi-

méduse

langue

du vide

entre les doigts

mes paumes

cherchent la cloche

qui ouvre tous mes

gestes

corps

tortue-étoile

de mer

algue

dans la lumière

fuit

mon visage

J’écris de petits pâtés de sable

des poèmes sans moule

que la mer emportera

je singe les cathédrales

pour ne pas compter

les saints

combien de grains dans le sablier ?

Poumon Liquide