Par Karen Cayrat
« J’écris de la prison qu’est mon corps et de la cellule où on l’a enfermé. J’écris d’un pays geôlier et d’une époque à camisole exigeant des femmes qu’elles engendrent et punissant celles qui y faillissent. J’écris pour que nous nous souvenions qu’il n’en a pas toujours été ainsi.»
— Caroline Deyns, MURmur
Sous le joug du patriarcat, des diktats, des images, des stéréotypes, des attaques, les femmes se voient trop souvent enfermées, emmurées vivantes en société dans des prisons réelles ou mentales. Sont-elles seulement écoutées ? Sont-elles seulement entendues ? Force est de constater que c’est encore peu le cas et ce peu importe la partie du globe dans laquelle on se trouve. Tandis que certains états acquiescent aux violences qu’elles soient physiques ou morales envers les femmes ou s’emploient à restreindre leurs libertés comme leurs droits d’autres sont espace de camouflets dans lesquels pataugent les politiques.
Si elles apprennent à vivre avec cette rage trop de fois tue au-dedans moteur pour poursuivre et porter plus loin encore les luttes engagées par les générations précédentes avec vaillance afin de défendre les acquis et conquérir toujours davantage, le chemin vers l’égalité semble encore long et tortueux. Bien que certaines ouvrent la voi/e/x c’est le cas de Caroline Deyns, qui après Trencadis publié en 2020 chez Quidam éditeur, qui avait au passage connu un beau succès de librairie, revient avec un ouvrage tout autant original que féministe, MURmur sélectionné Prix Wepler 2023 et Hors Concours 2023.
La parole, la romancière s’emploie, avec bienveillance et punch, à lui faire retrouver son espace pour lui donner une place active et centrale au fil du récit. Un bel exercice de force à la fois sincère et inspiré dans lequel l’écrivaine aborde des sujets importants et actuels (libertés, conditions, corps des femmes, maternité etc) enchâssés à travers une fiction hypnotique superposant les voix et construite dans un style à la fois impactant et poétique. Celle-ci nous propulse dans une société inspirée de Fahrenheit 451 comme de La Servante écarlate, les femmes se voient privées de leurs droits, de leurs voix, de leurs corps, de leurs libertés tandis que parole et actes artistiques féminins et féministes font les frais de la censure jusqu’à se voir annihiler de la mémoire collective afin d’empêcher toute forme d’insurrection, de revendication. Toutefois, la résistance sibylline et souterraine perdure. De mère en fille, de femme en femme, se transmet un texte sauvé de l’oubli, murmuré à voix basse.
Notons que pour la seconde fois, Caroline Deyns fait preuve d’une grande inventivité sur le plan formel donnant plus d’aplomb encore à son propos. Sur les premières pages du livre, le texte se présente sous forme de blocs, colonnes, figurant murs, monolithes, stèles, prisons pour mieux se délivrer au fil des pages pour regagner la forme du récit ensuite.
« J’écris de chez les emmurées,
les parquées, les claustréees,
les assignées, les internées,
les cadenassées, les séques-
trées, les incarcérées. De chez
les captives et les recluses.
D’ici. De derrière les ver-
rous et après l’écrou. De la
geöle qu’est mon corps. Et de
La prison où on l’a enfermé.»
Un ouvrage vif et vaillant qui appelle tout à chacun à veiller, défendre, préserver et s’engager afin d’atteindre l’égalité, l’équité et que tout être humain bénéficie des mêmes droits, devoirs et libertés. Paru il y a quelques mois chez Quidam éditeur MURmur est l’un de ces livres dont on continue de parler et que l’on aimera partager.
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